Le 30 décembre 2019, la maladie à coronavirus est apparue à Wuhan (Chine) et s’est rapidement rependue dans le monde. Déclarée pandémie mondiale par l’OMS, elle continue à faire des victimes directs et collatéraux tant sur le plan sanitaire, social et économique. La presse internationale met à jour le bilan de cette pandémie qui faisait le 07 juillet 2020 « 538 057 morts et 11 620 000 infectés » [1]. Derrière ce bilan se cachent les conséquences dues aux mesures de confinement et de distanciation. Les effets psychologiques ne cessent de s’alourdir avec la perturbation du quotidien des communautés. Les réponses des communautés italiennes et étrangères (straniere) sont fonction de la spécificité culturelle de chacune d’elles. Notre but est d’analyser la perception des guinéens de la Lombardie sur les conséquences de cette pandémie sur leur vie. L’atmosphère dans laquelle les entretiens (téléphoniques et directs) se sont déroulés est annonciatrice de peines et d’angoisses.
Bouleversements des habitudes sociales et précarité

La République de Guinée compte près de 13 millions d’habitants dont environ 84 % sont musulmans. Cette prégnance de l’Islam et l’héritage, encore vivace, de la culture ancestrale font de ce peuple des communautés attachées au “social”.
Qu’il s’agisse en Guinée ou dans les divers lieux d’immigration, leur vie sociale repose sur l’entraide mutuelle en cas d’évènements heureux (baptême, mariage, accession politique ou religieuses, …) ou malheureux (maladie, perte d’emploi, décès, …) et l’obligation de participer aux activités religieuses (prières collectives, jeûnes, fêtes d’Aïd El Fitr et d’Aïd El Kebir) qui sont des moments de contacts, de fraternité ou de compassion. Dans ce contexte, l’apparition inattendue du coronavirus et les mesures édictées ont provoqué des changements que nous tentons ici de restituer. Pour Thierno Alpha Oumar Diallo [2] (42 ans), islamologue résidant à Bergamo, la Covid 19 n’est pas la première épreuve sanitaire qui a touché le monde, particulièrement les musulmans. S’inscrivant dans une posture historique, notre interlocuteur rappelle :
“Au temps du prophète Issa Aleyhi As Salam (Jésus Christ), une épidémie de lèpre appelée baros (en arabe) avait fait des ravages. Dieu avait donné la force à Jésus de pouvoir la guérir de façon miraculeuse ainsi que les aveugles-nés. Il arrivait ainsi à convaincre, ceux qui étaient hésitants, à rejoindre le messager de Dieu et reconnaitre le monothéisme. Au fil du temps et avec les pandémies qui se répétaient à chaque siècle, le Prophète Muhamad (PSL) a recommandé aux croyants des versets pour se protéger contre la lèpre et toutes les autres maladies. Exemple : Allaa humma innii a uzubika, min barassi, wal dyunuuni, wal dyuzaami, wa min sayyi il asghaam (Dieu, je me refugie auprès de toi contre la lèpre, la folie, la dépigmentation et toutes les autres mauvaises maladies)”.
Ce témoignage a été conforté par plusieurs autres que nous avons lu et écouté sur les réseaux sociaux. La Covid 19 est considérée ainsi par la communauté musulmane comme une sorte de punitions, pour les uns et de démonstrations de la suprématie de Dieu, pour les autres. Ainsi, Oustaz Abdallah Diallo [3] disait :
“Il n’est pas surprenant que des telles pandémies arrivent pour nous rappeler à l’ordre (…) Allah nous a montré une fois de plus sa puissance, car le virus éliminé par un simple lavage au savon a défié la technologie et les firmes pharmaceutiques des pays développés”.
C’est en termes de volonté divine, de punition et de puissance suprême de Dieu que la communauté guinéenne en Lombardie a inscrit la pandémie de la Covid 19. Ce cadre repose également sur une recommandation du Prophète Muhamad (PSL) rapportée par sa femme, Néné Aïcha dans un Hadiz [4] « Celui qui a foi en Dieu et qui respect les mesures barrières, sera sauvé et s’il mourrait, il sera considéré comme tombé dans le djihad [5] (…) ne quittez pas une zone endémique pour les autres parties de la terre et inversement » qui a facilité la sensibilisation et l’acceptation de la pandémie par le respect des mesures prises.
Conséquences
Pour la communauté étudiée, les conséquences sont nombreuses, parce que des individus, des familles et des communautés qui avaient l’habitude de se retrouver, de vivre ensemble (même dans le contexte occidental) se voient subitement enfermés dans leurs maisons. Thierno Mamoudou Diallo [6], s’exprimait ainsi :
“Pas de regroupement, donc pas de lecture coranique sauf quelques tentatives sur whatsapp qui n’ont pas fonctionné en raison de l’Etat psychologique des membres. Chacun avait peur de son prochain. La suppression des visites et contacts physiques a plongé la communauté dans une vraie distanciation sociale jamais connue depuis mes 36 ans en Italie”.
Ce témoignage présage les conditions dans lesquelles le Ramadan 2020 s’est déroulé. Le mois béni de Ramadan est un moment opportun pour le musulman de partager de repas, de vivres, de pratiquer la prière collective et de faire des sacrifices en fonction de ses moyens. El Hadj Mamadou Saliou Diallo [7], en parle :
“Le Ramadan de cette année a coïncidé avec la période du confinement en Italie. Chaque individu ou chaque famille a pratiqué le jeûne dans sa maison et n’a pas eu la possibilité de partager ces moments bénis avec les coreligionnaires. Malgré quelques tentatives de distribution de vivres organisées par notre mosquée de Melegnano, l’envoie d’argent en Guinée comme aumône, habituellement très intense en cette période, a été affecté. Le cas le plus frappant est la pratique la prière de l’Aïd El Fitr à domicile”.
Cette ambiance décrite parces deux responsable et influent membre de cette communauté est générale, parce que les évènements qu’ils officiaient furent pendant longtemps un moyen de rencontre, d’échanges, d’intégration et de lutte contre le dépaysement pour, à la fois, ceux vivant avec leurs familles et ceux qui vivent seuls. Pour ce premier groupe, Abdoul Karim Barry [8] disait que :
“Avec mes 2 enfants et mon épouse, je m’occupais de l’approvisionnement afin de réduire les risques. Le ravitaillement était difficile en raison de la non-disponibilité des produits africains, mais aussi par la faiblesse de ma trésorerie à bien gérer en raison de l’incertitude qui plane sur la reprise du travail. Le confinement m’a permis d’être plus proche de ma famille et surtout d’aider les enfants à faire leurs cours qu’ils recevaient de l’école”.
Quant au second groupe, ceux vivants seuls, ils avaient moins de problèmes de ravitaillement mais d’isolement, de nostalgie voire de stress. Comme Djomane Condé [9], beaucoup de personnes écoutées avaient des problèmes économiques liés à l’arrêt brusque du travail qui se répercute aussi sur les parents en Guinée qui ne comptent que sur les immigrés. Le comment envoyer de l’argent pour faire vivre leur famille au pays, était la préoccupation de cette catégorie.
“Avant la Covid 19, je rentre à la maison très fatigué et les week-ends je faisais le ménage et la cuisine. Avec la pandémie, je regardais beaucoup la télévision et les réseaux sociaux qui d’ailleurs m’effrayaient avec l’explosion de la contagion. Sans les appels via les réseaux sociaux, je risquais de devenir fou”.
Le slogan “restes à la maison” (stai a casa) a plongé tout le monde dans la précarité et l’angoisse.
Covid 19 entre psychose, peur et angoisse

Malgré les sensibilisations (via les réseaux sociaux) par les leaders musulmans qui inscrivent cette pandémie comme une émanation de Dieu et son acceptation comme telle est une obéissance au tout puissance, la communauté guinéenne, au même titre que les autres d’ailleurs, a été prise par l’angoisse et la peur.
Les détails et raisons de cette triste réalité ont été observés chez la plupart de nos interlocuteurs dont entre autres El Hadj Bailo Diallo [10], Mme Diallo Sow et Salam Sow :
“Je sais que personne n’échappera à la mort, mais la peur a été sur le lieu et la manière, bien que les deux aussi restent méconnus à l’humain. Le nombre de morts dans les hôpitaux, les cortèges funèbres conduits par les militaires, le mode d’enterrement et l’absence de carrés musulmans dans les cimetières qui étaient d’ailleurs pleins sont des éléments forts qui marquent une grande rupture avec nos habituels rites funèbres. Ils ont donc donné à réfléchir et la peur a pris plus d’un au sein de la communauté”.
Pour Madame Diallo [11],
“La télévision et les sirènes des ambulances de la Croix Rouge étaient devenues comme, des coups de massue sur ma tête. Un jour, l’ambulance est venue prendre une personne dans notre immeuble, ce jour-là, je n’ai pas pu manger, ni dormir de peur de mourir en Italie sans revoir les miens au pays. Mais Dieu est grand (Alhamdulillah), la situation s’est progressivement améliorée”.
Enfin, Salam Sow [12] raconte,
“Je ne suis pas du reste dans la perception de l’angoisse. A la peur de ne pas subvenir aux besoins vitaux de ma famille s’ajoutait déjà celle évoquée par mes prédécesseurs. La crise de la Covid 19 va certainement révolutionner la vie des immigrés qui n’avaient pas la culture de l’épargne et qui s’est avéré pourtant indispensable en ces moments difficiles”.
La communauté guinéenne en Italie, particulièrement celle de la Lombardie a traversé la crise de la Covid 19 avec une rupture dans leur quotidien. La suppression des prières collectives, des regroupements sociaux et du rituel du travail est, en partie, les conséquences du confinement imposé par les autorités sanitaires et politiques. L’isolement, la réduction drastique des ressources économiques et la peur de tomber malade voire mourir dans un contexte où il serait difficile voire impossible de bénéficier de funérailles musulmanes ni d’être rapatrié, sont la seconde catégorie de contraintes que cette communauté déclare avoir subies. Toutefois, ces moments difficiles ont permis à tous d’être auprès de leurs familles, de mieux comprendre le rôle de l’épargne et surtout l’apport des réseaux sociaux dans les échanges et le maintien du moral indispensable à la santé psychique.
Ismailou Baldé – PhD en Anthropologie Culturelle et Sociale, Université de Milan Bicocca (Italie)
[1] Rémi CARLIER, journal en ligne de France 24 du 08/07/2020.
[2] Entretien téléphonique du 20 mars 2020
[3] Déclaration sur Facebook le 20/03/2020 de Oustaz Abdallah Diallo de Bruxelles
[4] Article
[5] Combat pour l’Islam
[6] Taxi-maître et maître coranique pour la communauté Fulbe de Milan
[7] Entretien téléphonique du 09 :05/2020 avec El Hadj Mamadou Saliou Diallo (62 ans), résident à Melegnano, membre influent de la communauté guinéenne à Milan
[8] Entretien du 01/06/2020 avec Abdoul Karim Barry (31 ans), opérateur de cuisine et libre professionnaliste, à Prato.
[9] Entretien téléphonique du 01/06/2020 avec Djomane Condé (33 ans), médiateur culturel à Torino.
[10] Entretien téléphonique du 22/04/2020 avec El Hadj Bailo Diallo (63 ans), résident à Brescia
[11] Entretien du 24/04/2020 avec Madame Diallo (58 ans), résidente à Milan
[12] Entretien du 02/06/2020 avec Salam Sow (32 ans) technicien de Laboratoire à Rome